Alegria Bendelac
 



 
A la cloche du souvenir/The Ring of Remembrance*
 
 

A la cloche du souvenir

Heures vertes de mon enfance

Qui gaiement dansez au-dessus de ma tête

Et tintinnabulez, joyeuses, autour de mon chemin,

Comme une eau bienfaisante et miséricordieuse,

     Déscendez jusqu'a moi

     Et cachez, cachez le serpent vert

     Qui cherche à me devorer.

Campanules et bourraches

 Au coeur mauve et aux yeux bleus,

Perle marguerite aux doigts blancs

Favorable aux amoureux

     Croissez sur mon chemin.

J'appelle à moi les vertes étoiles

De la menthe qui pousse énivrante

     A la face du soleil

     Avec sa soeur la térébinthe

     Qui a ciré son tablier.
 

Las! comme vous tintez, evanescentes,

Vous tintez encore et vous enfuyez dans le lointain

Me laissant dans le desert et le silence, seule.
 

J'invoque, ayez grace mes fées,

Les grands iris violets et jaunes

Que le vent d'est faisait bruire

Au milieu de la folle avoine

     Dans les champs vierges

     Sur la colline

Folle avoine aux ailes d'hirondelle,

Gracieuse, et pointue et légère,

Qui te balances sous le ciel

Et chantes Paques aux libellules.
 

Je veux encore, fermant les yeux,

M'arrêter le coeur battant

Sous les pins verts et odorants.

Je veux écouter tomber

En averse autour de moi

Avec un chuchotement sourd

La pomme de pin sur les aiguilles

Glissantes et silencieuses.
 

Ah que pleuvent encore sur ma tête,

Sous la dentelle vert-de-gris,

Les poussins jaunes et duveteux,

Bulles fragiles et légères,

Les fleurs du mimosa.

Puisse-je écouter encore

Sur le versant de la colline

Et sur l'épaule des vallons,

Dans leur murmure eperdu

Et leur bruissement mélancolique,

Les langues d'argent bavardes

Des fiers eucalyptus.

Devaler le sentier qui descend sur la greve,

La grêve ou chante, et luit, et rit, et pleure,

La mère de toutes les graces,

La Méditerranée.
 
 

            Les Chemins/Roads*
 

Ni le tendre escargot au fond de sa coquille.

Ni l'étoile de mer enfouie dans le sable,

Ni l'humble ver de terre qu'exhume la faucille,

Ni le doux agnelet qui gite en son étable,

Ne t'ont cherché, Seigneur, mais moi, puisque ton nom

A fendu l'épaisseur de mon indifférence,

Comme une fine proue, et comme un tympanon

Résonne dans mon coeur au centre du silence,

Je m'en irai, Seigneur, quêtant sous les fatras,

Les signes, et la trace et l'ombre de tes pas.
 
 

        Le sommeil des enfants/The Slumber of Children*
 

Que font les New Yorkais?

Les enfants dorment dans les bras du monstre,

Le monstre séduisant aux yeux de braise folle.

Il a beaucoup de bras le monstre aux yeux de jaspe,

Le monstre qui sourit enigmatiquement.

Il sourit sans repos en battant des paupières

Et ses cils immenses agitent des reves roux

Et parfois ses prunelles prennent un éclat fixe

Tandis qu'il goute et croque

Avec minutie

La cervelle des enfants qu'il berce dans ses bras.

Les enfants dorment dans les bras du monstre

D'un sommeil agité de mille cauchemars.

Parfois ils se retournent dans leur sommeil troubles

Et battent faiblement de leurs ailes fripées.

Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils volettent,

En cherchant la lumiere au bout du labyrinthe,

Tandis que, souriant, le monstre les reprend

D'une seule ondulation dans ses bras multiformes

Et les enfants soumis se rendorment alors

Sans compter les écailles qui poussent sur leur corps.
 
 

                Arrivée/A Made Woman*
 

J'ai laissé pour toi cette perle

Dans les courbes couloirs du temps.

Elle roule ronde et secrete

A ta rencontre dans le temps.

J'ai laissé pour toi cette goutte

Qui flottera vague et sereine,

Bulle sacrée, nacre fragile,

A ta rencontre dans le temps.

Dans les chemins perdus et lactes

Parmi les tunnels éthérés

De l'éternité

Ma perle va, et flotte et vogue

Tout enroulée sur son secret.

Il semble qu'elle va flanant

Légère et sans gravite,

Enfant irisée du hasard

Et de la fantaisie d'un instant.

Mais cependant, trésor secret,

Dans les vents de l'ether roulent,

Elle navigue en l'éternité

Sur les rails bifurqués du temps

A ta rencontre.

Elle voyage sans hésiter

Vers l'omega cache,

L'intersection sacrée

Ou tu l'attends

De toute éternité.
 
 
 

              Signes du Soir/Signs of the Night*
 

Les oiseaux estropiés s'abattent

Sur l'or liquide de la mer

Incandescendante

Quand ils s'enfuient dans un bruit d'ailes

Devant la tempete secrete

Qui monte du fond des eaux

La tempête qui bout, qui bouillonne et qui gonfle

Aux franges de la nuit.
 

La nuit douce dans son velours

Leve les ailes en silence

Et d'un grand souffle elle enveloppe

L'heure solennelle.

C'est l'heure douce-amère

Ou les pretendants s'éparpillent

C'est l'heure mauve et verte

Du désespoir tranquille

Ou se mue la fauvette en un grand-duc noir.
 

Poursuis le soir et crie la vie

Dans le jardin labyrinthique

Ou l'araignée trace en silence

Les pas du temps

Et tisse dans la toile grise

Des chagrins

De loin en loin une étoile de sang.
 
 

            Les grains de la glycine/Grains of the Wistaria*
 

Bonjour, je te regarde,

Solitude mon amie,

Solitude mon ennemie.

Bonsoir, j'ai peur de toi,

De ton oeil bleu,

De ton oeil vert.
 

Le chagrin comme un oiseau

S'est pose sur l'olivier.

Bonjour, joie.

Bonsoir, tristesse.
 

Prenez le temps, perverse enfant,

De caresser d'un doigt aimant,

Le myosotis et l'ancolie,

En poursuivant les pas du vent

Sur le chemin des grenadiers.

Eparpillez les doigts de perle

Des marguerites au coeur noir.

Faites chanter les capucines

Et l'héliotrope au front violet.
 

La mort fraichit dans le bosquet

Ou la glycine aux grains charnus

Fait carillonner ce matin

Ses raisins de cristal bleu.
 

* translations into English of these poems will appear here shortly


Alegria Bendelac grew up in Tangiers, Morocco, in a family from Tetuan that spoke Haketia, the Spanish-Moroccan dialect of the former Jews of Spain. She is the author of three books of poetry which have appeared in France, including Tourmaline, awarded the Prix Blaise Cendrars in 1970. A specialist in XVIIth-century French literature by training, Dr. Alegria Bendelac, who has a Ph.D. from Columbia University and was the recipient of the French Government Palmes Academiques, retired from PennState University as a Full Professor Emerita. She lives in New York.
 

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